pas remonter trop haut, avec Descartes et Hobbes, auxquels on pourra adjoindre Locke, on aura les éléments nécessaires à la reconstitution extérieure de la philosophie de Berkeley : tout au plus lui laissera-t-on sa théorie de la vision, qui serait alors son œuvre propre, et dont l’originalité, rejaillissant sur le reste, donnerait à l’ensemble de la doctrine son aspect original. Prenons donc ces tranches de philosophie ancienne et moderne, mettons-les dans le même bol, ajoutons en guise de vinaigre et d’huile, une certaine impatience agressive à l’égard du dogmatisme mathématique et le désir, naturel chez un évêque philosophe, de réconcilier la raison avec la foi, mêlons et retournons consciencieusement, jetons par-dessus le tout, comme autant de fines herbes, un certain nombre d’aphorismes cueillis chez les néo-platoniciens : nous aurons — passez-moi l’expression — une salade qui ressemblera suffisamment, de loin, à ce que Berkeley a fait.
Eh bien, celui qui procéderait ainsi serait incapable de pénétrer dans la pensée de Berkeley. Je ne parle pas des difficultés et des impossibilités auxquelles il se heurterait dans les explications de détail : singulier « nominalisme » que celui qui aboutit à ériger bon nombre d’idées générales en essences éternelles, immanentes à l’Intelligence divine ! étrange négation de la réalité des corps que celle qui s’exprime par une théorie positive de la nature de la matière, théorie féconde, aussi éloignée que possible d’un idéalisme stérile qui assimilerait la perception au rêve ! Ce que je veux dire, c’est qu’il nous est impossible d’examiner avec attention la philosophie de Berkeley sans voir se rapprocher d’abord, puis s’entrepénétrer, les quatre thèses que nous y avons distinguées, de sorte que chacune d’elles semble devenir grosse des trois autres, prendre du relief et de la profondeur, et se distinguer radicalement des théories anté-