sément la mémoire qu’on prétend expliquer par elle ! Quoi que nous fassions, et même si nous supposons que le cerveau emmagasine des souvenirs, nous n’échappons pas à la conclusion que le passé est capable de se conserver lui-même, automatiquement.
Non pas seulement notre passé à nous, mais aussi le passé de n’importe quel changement, pourvu toutefois qu’il s’agisse d’un changement unique et, par là même, indivisible : la conservation du passé dans le présent n’est pas autre chose que l’indivisibilité du changement. Il est vrai que, pour les changements qui s’accomplissent au dehors, nous ne savons presque jamais si nous avons affaire à un changement unique ou à un composé de plusieurs mouvements entre lesquels s’intercalent des arrêts (l’arrêt n’étant d’ailleurs jamais que relatif). Il faudrait que nous fussions intérieurs aux êtres et aux choses, comme nous le sommes à nous-mêmes, pour que nous pussions nous prononcer sûrement sur ce point. Mais là n’est pas l’important. Il suffit de s’être convaincu une fois pour toutes que la réalité est changement, que le changement est indivisible, et que, dans un changement indivisible, le passé fait corps avec le présent.
Pénétrons-nous de cette vérité, et nous verrons fondre et s’évaporer bon nombre d’énigmes philosophiques. Certains grands problèmes, comme celui de la substance, du changement, et de leur rapport, cesseront de se poser. Toutes les difficultés soulevées autour de ces points — difficultés qui ont fait reculer peu à peu la substance jusque dans la domaine de l’inconnaissable — venaient de ce que nous fermons les yeux à l’indivisibilité du changement. Si le changement, qui est évidemment constitutif de toute notre expérience, est la chose fuyante dont la plupart des philosophes ont parlé, si l’on n’y voit qu’une poussière