Page:Bergson - La Pensée et le Mouvant.djvu/227

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Mais la métaphysique y a travaillé également.

Comment les maîtres de la philosophie moderne, qui ont été, en même temps que des métaphysiciens, les rénovateurs de la science, n’auraient-ils pas eu le sentiment de la continuité mobile du réel ? Comment ne se seraient-ils pas placés dans ce que nous appelons la durée concrète ? Ils l’ont fait plus qu’ils ne l’ont cru, beaucoup plus surtout qu’ils ne l’ont dit. Si l’on s’efforce de relier par des traits continus les intuitions autour desquelles se sont organisés les systèmes, on trouve, à côté de plusieurs autres lignes convergentes ou divergentes, une direction bien déterminée de pensée et de sentiment. Quelle est cette pensée latente ? Comment exprimer ce sentiment ? Pour emprunter encore une fois aux platoniciens leur langage, nous dirons, en dépouillant les mots de leur sens psychologique, en appelant Idée une certaine assurance de facile intelligibilité et Âme une certaine inquiétude de vie, qu’un invisible courant porte la philosophie moderne à hausser l’Âme au-dessus de l’Idée. Elle tend par là, comme la science moderne et même beaucoup plus qu’elle, à marcher en sens inverse de la pensée antique.

Mais cette métaphysique, comme cette science, a déployé autour de sa vie profonde un riche tissu de symboles, oubliant parfois que, si la science a besoin de symboles dans son développement analytique, la principale raison d’être de la métaphysique est une rupture avec les symboles. Ici encore l’entendement a poursuivi son travail de fixation, de division, de reconstruction. Il l’a poursuivi, il est vrai, sous une forme assez différente. Sans insister sur un point que nous nous proposons de développer ailleurs, bornons-nous à dire que l’entendement, dont le rôle est d’opérer sur des éléments stables, peut chercher la stabilité soit dans