était toute tracée. Il eût développé en termes précis, sur des points déterminés, les principes encore un peu flottants de sa philosophie. L’obligation d’exposer ses doctrines oralement, de les éprouver sur des problèmes variés, d’en faire des applications concrètes aux questions que posent la science et la vie, l’eût amené à descendre parfois des hauteurs où il aimait à se tenir. Autour de lui se fût empressée l’élite de notre jeunesse, toujours prête à s’enflammer pour de nobles idées exprimées dans un beau langage. Bientôt, sans doute, votre Académie lui eût ouvert ses portes. Une école se serait constituée, que ses origines aristotéliques n’auraient pas empêchée d’être très moderne, pas plus que ses sympathies pour l’art ne l’eussent éloignée de la science positive. Mais le sort en décida autrement. M. Ravaisson n’entra à l’Académie des Sciences morales que quarante ans plus tard, et il ne s’assit jamais dans une chaire de philosophie.
C’était en effet le temps où M. Cousin, du haut de son siège au Conseil royal, exerçait sur l’enseignement de la philosophie une autorité incontestée. Certes, il avait été le premier à encourager les débuts de M. Ravaisson. Avec son coup d’œil habituel, il avait vu ce que le mémoire présenté à l’Académie contenait de promesses. Plein d’estime pour le jeune philosophe, il l’admit pendant quelque temps à ces causeries philosophiques qui commençaient par de longues promenades au Luxembourg et qui s’achevaient, le soir, par un dîner dans un restaurant du voisinage, — éclectisme aimable qui prolongeait la discussion péripatéticienne en banquet platonicien. D’ailleurs, à regarder du dehors, tout semblait devoir rapprocher M. Ravaisson de M. Cousin. Les deux philosophes n’avaient-ils pas le même amour de la philosophie antique, la même aversion pour le sensualisme du xviiie siècle, le même respect pour la tradition