Page:Bergson - La Pensée et le Mouvant.djvu/280

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où vingt nouvelles années de réflexion l’avaient conduit, s’il n’eût été invité officiellement à le faire.

Le gouvernement impérial avait décidé qu’on rédigerait, à l’occasion de l’Exposition de 1867, un ensemble de rapports sur le progrès des sciences, des lettres et des arts en France au xixe siècle. M. Duruy était alors ministre de l’Instruction publique. Il connaissait bien M. Ravaisson, l’ayant eu pour condisciple au collège Rollin. Déjà, en 1863, lors du rétablissement de l’agrégation de philosophie, il avait confié à M. Ravaisson la présidence du jury. À qui allait-il demander le rapport sur les progrès de la philosophie ? Plus d’un philosophe éminent, occupant une chaire d’Université, aurait pu prétendre à cet honneur. M. Duruy aima mieux s’adresser à M. Ravaisson, qui était un philosophe hors cadre. Et ce ministre, qui eut tant de bonnes inspirations pendant son trop court passage aux affaires, n’en eut jamais de meilleure que ce jour-là.

M. Ravaisson aurait pu se contenter de passer en revue les travaux des philosophes les plus renommés du siècle. On ne lui en demandait probablement pas davantage. Mais il comprit sa tâche autrement. Sans s’arrêter à l’opinion qui tient quelques penseurs pour dignes d’attention, les autres pour négligeables, il lut tout, en homme qui sait ce que peut la réflexion sincère et comment, par la seule force de cet instrument, les plus humbles ouvriers ont extrait du plus vil minerai quelques parcelles d’or. Ayant tout lu, il prit ensuite son élan pour tout dominer. Ce qu’il cherchait, c’était, à travers les hésitations et les détours d’une pensée qui n’a pas toujours eu pleine conscience de ce qu’elle voulait ni de ce qu’elle faisait, le point, situé peut-être loin dans l’avenir, où notre philosophie s’achemine.

Reprenant et élargissant l’idée maîtresse de son Essai,