Page:Bergson - La Pensée et le Mouvant.djvu/289

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un changement d’orientation dans la philosophie universitaire : à l’influence de Cousin succédait celle de Ravaisson. Comme l’a dit M. Boutroux dans les belles pages qu’il a consacrées à sa mémoire [1], « M. Ravaisson ne chercha jamais l’influence, mais il finit par l’exercer à la manière du chant divin qui, selon la fable antique, amenait à se ranger d’eux-mêmes, en murailles et en tours, de dociles matériaux ». Président du jury d’agrégation, il apportait à ces fonctions une bienveillante impartialité, uniquement préoccupé de distinguer le talent et l’effort partout où ils se rencontraient. En 1880, votre Académie l’appelait à siéger parmi ses membres, en remplacement de M. Peisse. Une des premières lectures qu’il fit à votre Compagnie fut celle d’un important rapport sur le scepticisme, à l’occasion du concours où votre futur confrère M. Brochard remportait si brillamment le prix. En 1899, l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres célébrait le cinquantenaire de son élection. Lui, toujours jeune, toujours souriant, allait d’une Académie à l’autre, présentait ici un mémoire sur quelque point d’archéologie grecque, là des vues sur la morale ou l’éducation, présidait des distributions de prix où, sur un ton familier, il exprimait les vérités les plus abstraites sous la forme la plus aimable. Pendant ces trente dernières années de sa vie, M. Ravaisson ne cessa jamais de poursuivre le développement d’une pensée dont l’Essai sur la métaphysique d’Aristote, la thèse sur l’Habitude et le Rapport de 1867 avaient marqué les principales étapes. Mais ce nouvel effort, n’ayant pas abouti à une œuvre achevée, est moins connu. Les résultats qu’il en publiait étaient d’ailleurs de nature à surprendre un peu, je dirai presque à dérouter, ceux mêmes de ses disciples

  1. Revue de métaphysique et de morale, novembre 1900.