ceux que nous avons chéris ici-bas, et que celui qui a aimé une fois aimera toujours. Il ajoutait que l’immortalité promise par la religion était une éternité de bonheur, qu’on ne pouvait pas, qu’on ne devait pas la concevoir autrement, ou bien alors que le dernier mot ne resterait pas à la générosité. « Au nom de la justice, écrivait-il[1], une théologie étrangère à l’esprit de miséricorde qui est celui même du christianisme, abusant du nom d’éternité qui ne signifie souvent qu’une longue durée, condamne à des maux sans fin les pécheurs morts sans repentir, c’est-à-dire l’humanité presque entière. Comment comprendre alors ce que deviendrait la félicité d’un Dieu qui entendrait pendant l’éternité tant de voix gémissantes ?… On trouve dans le pays où naquit le christianisme une fable allégorique inspirée d’une tout autre pensée, la fable de l’Amour et de Psyché ou l’âme. L’Amour s’éprend de Psyché. Celle-ci se rend coupable, comme l’Ève de la Bible, d’une curiosité impie de savoir, autrement que par Dieu, discerner le bien du mal, et comme de nier ainsi la grâce divine. L’Amour lui impose des peines expiatoires, mais pour la rendre à nouveau digne de son choix, et il ne les lui impose pas sans regret. Un bas-relief le représente tenant d’une main un papillon (âme et papillon, symbole de résurrection, furent de tous temps synonymes) ; de l’autre il le brûle à la flamme de son flambeau ; mais il détourne la tête, comme plein de pitié. »
Telles étaient les théories, et telles aussi les allégories, que M. Ravaisson notait dans les dernières pages de son Testament philosophique, peu de jours avant sa mort. C’est entre ces hautes pensées et ces gracieuses images, comme le long d’une allée bordée d’arbres superbes et de fleurs odori-
- ↑ Testament philosophique, p. 29 (Revue de Métaphysique et de Morale, janvier 1901).