Page:Bergson - La Pensée et le Mouvant.djvu/40

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les divers départements de notre connaissance : nous la verrons, elle obscure, dissiper des obscurités. Par elle, des problèmes que nous jugions insolubles vont se résoudre ou plutôt se dissoudre, soit pour disparaître définitivement soit pour se poser autrement. De ce qu’elle aura fait pour ces problèmes elle bénéficiera alors à son tour. Chacun d’eux, intellectuel, lui communiquera quelque chose de son intellectualité. Ainsi intellectualisée, elle pourra être braquée à nouveau sur les problèmes qui l’auront servie après s’être servis d’elle ; elle dissipera, encore mieux, l’obscurité qui les entourait, et elle en deviendra elle-même plus claire. Il faut donc distinguer entre les idées qui gardent pour elles leur lumière, la faisant d’ailleurs pénétrer tout de suite dans leurs moindres recoins, et celles dont le rayonnement est extérieur, illuminant toute une région de la pensée. Celles-ci peuvent commencer par être intérieurement obscures ; mais la lumière qu’elles projettent autour d’elles leur revient par réflexion, les pénètre de plus en plus profondément ; et elles ont alors le double pouvoir d’éclairer le reste et de s’éclairer elles-mêmes.

Encore faut-il leur en laisser le temps. Le philosophe n’a pas toujours cette patience. Combien n’est-il pas plus simple de s’en tenir aux notions emmaganisées dans le langage ! Ces idées ont été formées par l’intelligence au fur et à mesure de ses besoins. Elles correspondent à un découpage de la réalité selon les lignes qu’il faut suivre pour agir commodément sur elle. Le plus souvent, elles distribuent les objets et les faits d’après l’avantage que nous en pouvons tirer, jetant pêle-mêle dans le même compartiment intellectuel tout ce qui intéresse le même besoin. Quand nous réagissons identiquement à des perceptions différentes, nous disons que nous sommes devant des objets « du même genre ».