Page:Bergson - La Pensée et le Mouvant.djvu/43

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de fabriquer des instruments, et de guider l’action de notre corps sur les corps environnants. La science a poussé ce travail de l’intelligence beaucoup plus loin, mais elle n’en a pas changé la direction. Elle vise, avant tout, à nous rendre maîtres de la matière. Même quand elle spécule, elle se préoccupe encore d’agir, la valeur des théories scientifiques se mesurant toujours à la solidité de la prise qu’elles nous donnent sur la réalité. Mais n’est-ce pas là, précisément, ce qui doit nous inspirer pleine confiance dans la science positive et aussi dans l’intelligence, son instrument ? Si l’intelligence est faite pour utiliser la matière, c’est sur la structure de la matière, sans doute, que s’est modelée celle de l’intelligence. Telle est du moins l’hypothèse la plus simple et la plus probable. Nous devrons nous y tenir tant qu’on ne nous aura pas démontré que l’intelligence déforme, transforme, construit son objet, ou n’en touche que la surface, ou n’en saisit que l’apparence. Or on n’a jamais invoqué, pour cette démonstration, que les difficultés insolubles où la philosophie tombe, la contradiction où l’intelligence peut se mettre avec elle-même, quand elle spécule sur l’ensemble des choses : difficultés et contradictions où il est naturel que nous aboutissions en effet si l’intelligence est spécialement destinée à l’étude d’une partie, et si nous prétendons néanmoins l’employer à la connaissance du tout. Mais ce n’est pas assez dire. Il est impossible de considérer le mécanisme de notre intelligence, et aussi le progrès de notre science, sans arriver à la conclusion qu’entre l’intelligence et la matière il y a effectivement symétrie, concordance, correspondance. D’un côté la matière se résout de plus en plus, aux yeux du savant, en relations mathématiques, et d’autre part les facultés essentielles de notre intelligence ne fonctionnent avec une précision absolue que lorsqu’elles