Page:Bergson - Le Rire.djvu/169

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pleine lumière, c’est une réalité profonde qui nous est voilée, souvent dans notre intérêt même, par les nécessités de la vie. Quelle est cette réalité ? Quelles sont ces nécessités ? Toute poésie exprime des états d’âme. Mais parmi ces états, il en est qui naissent surtout du contact de l’homme avec ses semblables. Ce sont les sentiments les plus intenses et aussi les plus violents. Comme les électricités s’appellent et s’accumulent entre les deux plaques du condensateur d’où l’on fera jaillir l’étincelle, ainsi, par la seule mise en présence des hommes entre eux, des attractions et des répulsions profondes se produisent, des ruptures complètes d’équilibre, enfin cette électrisation de l’âme qui est la passion. Si l’homme s’abandonnait au mouvement de sa nature sensible, s’il n’y avait ni loi sociale ni loi morale, ces explosions de sentiments violents seraient l’ordinaire de la vie. Mais il est utile que ces explosions soient conjurées. Il est nécessaire que l’homme vive en société, et s’astreigne par conséquent à une règle. Et ce que l’intérêt conseille, la raison l’ordonne : il y a un devoir, et notre destination est d’y obéir. Sous cette double