Page:Bergson - Le Rire.djvu/202

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les personnages, à mesure qu’on avance, ont l’air de se laisser entraîner dans un tourbillon de folie. « Si l’on en peut voir un plus fou, je l’irai dire à Rome » : ce mot, qui nous avertit que la pièce est terminée, nous fait sortir du rêve de plus en plus extravagant où nous nous enfoncions avec M. Jourdain.

Mais il y a surtout une démence qui est propre au rêve. Il y a certaines contradictions spéciales, si naturelles à l’imagination du rêveur, si choquantes pour la raison de l’homme éveillé, qu’il serait impossible d’en donner une idée exacte et complète à celui qui n’en aurait pas eu l’expérience. Nous faisons allusion ici à l’étrange fusion que le rêve opère souvent entre deux personnes qui n’en font plus qu’une et qui restent pourtant distinctes. D’ordinaire, l’un des personnages est le dormeur lui-même. Il sent qu’il n’a pas cessé d’être ce qu’il est ; il n’en est pas moins devenu un autre. C’est lui et ce n’est pas lui. Il s’entend parler, il se voit agir, mais il sent qu’un autre lui a emprunté son corps et lui a pris sa voix. Ou bien encore il aura conscience de parler et d’agir comme à l’ordinaire ;