Page:Bergson - Le Rire.djvu/21

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d’autant plus comique que nous jugeons plus naturelle la cause. Nous rions déjà de la distraction qu’on nous présente comme un simple fait. Plus risible sera la distraction que nous aurons vue naître et grandir sous nos yeux, dont nous connaîtrons l’origine et dont nous pourrons reconstituer l’histoire. Supposons donc, pour prendre un exemple précis, qu’un personnage ait fait des romans d’amour ou de chevalerie sa lecture habituelle. Attiré, fasciné par ses héros, il détache vers eux, petit à petit, sa pensée et sa volonté. Le voici qui circule parmi nous à la manière d’un somnambule. Ses actions sont des distractions. Seulement, toutes ces distractions se rattachent à une cause connue et positive. Ce ne sont plus, purement et simplement, des absences ; elles s’expliquent par la présence du personnage dans un milieu bien défini, quoique imaginaire. Sans doute une chute est toujours une chute, mais autre chose est de se laisser choir dans un puits parce qu’on regardait n’importe où ailleurs, autre chose y tomber parce qu’on visait une étoile. C’est bien une étoile que Don Quichotte contemplait. Quelle profondeur de