Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/126

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davantage de nos vues. En se les appropriant, elle ne ferait que reprendre son bien.

Revenons donc sur quelques-uns des traits saillants de la vie, et marquons le caractère nettement empirique de la conception d’un « élan vital ». Le phénomène vital est-il résoluble, disions-nous, en faits physiques et chimiques ? Quand le physiologiste l’affirme, il entend par là, consciemment ou inconsciemment, que le rôle de la physiologie est de rechercher ce qu’il y a de physique et de chimique dans le vital, qu’on ne saurait assigner d’avance un terme à cette recherche, et que dès lors il faudra procéder comme si la recherche ne devait pas avoir de terme : ainsi seulement on ira de l’avant. Il pose donc une règle de méthode ; il n’énonce pas un fait. Tenons-nous en alors à l’expérience : nous dirons — et plus d’un biologiste le reconnaît — que la science est aussi loin que jamais d’une explication physico-chimique de la vie. C’est ce que nous constations d’abord quand nous parlions d’un élan vital. — Maintenant, la vie une fois posée, comment s’en représenter l’évolution ? On peut soutenir que le passage d’une espèce à l’autre s’est fait par une série de petites variations, toutes accidentelles, conservées par la sélection et fixées par l’hérédité. Mais si l’on songe au nombre énorme de variations, coordonnées entre elles et complémentaires les unes des autres, qui doivent se produire pour que l’organisme en profite ou même simplement pour qu’il n’en éprouve aucun dommage, on se demande comment chacune d’elles, prise à part, se conservera par sélection et attendra celles qui la compléteraient. Toute seule, elle ne sert le plus souvent à rien ; elle peut même gêner ou paralyser la fonction. En invoquant donc une composition du hasard avec le hasard, en n’attribuant à aucune cause spéciale la direction prise par