Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/134

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deux grandes lignes de l’évolution, la ruche et la fourmilière, si enfin ce résultat s’obtient par l’instinct, qui n’est que le prolongement du travail organisateur de la nature, c’est que la nature se préoccupe de la société plutôt que de l’individu. S’il n’en est plus de même chez l’homme, c’est que l’effort d’invention qui se manifeste dans tout le domaine de la vie par la création d’espèces nouvelles a trouvé dans l’humanité seulement le moyen de se continuer par des individus auxquels est dévolue alors, avec l’intelligence, la faculté d’initiative, l’indépendance, la liberté. Si l’intelligence menace maintenant de rompre sur certains points la cohésion sociale, et si la société doit subsister, il faut que, sur ces points, il y ait à l’intelligence un contrepoids. Si ce contrepoids ne peut pas être l’instinct lui-même, puisque sa place est justement prise par l’intelligence, il faut qu’une virtualité d’instinct ou, si l’on aime mieux, le résidu d’instinct qui subsiste autour de l’intelligence, produise le même effet : il ne peut agir directement, mais puisque l’intelligence travaille sur des représentations, il en suscitera d’« imaginaires » qui tiendront tête à la représentation du réel et qui réussiront, par l’intermédiaire de l’intelligence même, à contrecarrer le travail intellectuel. Ainsi s’expliquerait la fonction fabulatrice. Si d’ailleurs elle joue un rôle social, elle doit servir aussi l’individu, que la société a le plus souvent intérêt à ménager. On peut donc présumer que, sous sa forme élémentaire et originelle, elle apporte à l’individu lui-même un surcroît de force. Mais avant d’arriver à ce second point, considérons le premier.

Parmi les observations recueillies par la « science psychique », nous avions jadis noté le fait suivant. Une dame