Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/148

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l’idée d’un terme n’en vient pas contrarier l’élan, mais encore et surtout parce qu’elle a besoin elle-même de stabilité et de durée. Une société déjà civilisée s’adosse à des lois, à des institutions, à des édifices même qui sont faits pour braver le temps ; mais les sociétés primitives sont simplement « bâties en hommes » : que deviendrait leur autorité, si l’on ne croyait pas à la persistance des individualités qui les composent ? Il importe donc que les morts restent présents. Plus tard viendra le culte des ancêtres. Les morts se seront alors rapprochés des dieux. Mais il faudra pour cela qu’il y ait des dieux, au moins en préparation, qu’il y ait un culte, que l’esprit se soit franchement orienté dans la direction de la mythologie. À son point de départ, l’intelligence se représente simplement les morts comme mêlés aux vivants, dans une société à laquelle ils peuvent encore faire du bien et du mal.

Sous quelle forme les voit-elle se survivre ? N’oublions pas que nous cherchons au fond de l’âme, par voie d’introspection, les éléments constitutifs d’une religion primitive. Tel de ces éléments a pu ne jamais se produire dehors à l’état pur. Il aura tout de suite rencontré d’autres éléments simples, de même origine, avec lesquels il se sera composé ; ou bien il aura été pris, soit tout seul soit avec d’autres, pour servir de matière au travail indéfiniment continué de la fonction fabulatrice. Il existe ainsi des thèmes, simples ou complexes, fournis par la nature ; et il y a, d’autre part, mille variations exécutées sur eux par la fantaisie humaine. Aux thèmes eux-mêmes se rattachent sans doute les croyances fondamentales que la science des religions retrouve a peu près partout. Quant aux variations sur les thèmes, ce sont les mythes et même les conceptions théoriques qui se diversifient à l’infini selon les temps et les lieux. Il n’est pas douteux