Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/198

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ne projetait aussitôt dans son intelligence, à la place même que cette perception et cette pensée allaient prendre, l’image antagoniste d’une conversion des choses et des événements vers l’homme : bienveillante ou malveillante, une intention de l’entourage le suit partout, comme la lune paraît courir avec lui quand il court. Si elle est bonne, il se reposera sur elle. Si elle lui veut du mal, il tâchera d’en détourner l’effet. De toute manière, il aura été pris en considération. Point de théorie, nulle place pour l’arbitraire. La conviction s’impose parce qu’elle n’a rien de philosophique, étant d’ordre vital.

Si d’ailleurs elle se scinde et évolue dans deux directions divergentes, d’un côté vers la croyance à des esprits déjà individualisés et de l’autre vers l’idée d’une essence impersonnelle, ce n’est pas pour des raisons théoriques : celles-ci appellent la controverse, admettent le doute, suscitent des doctrines qui peuvent influer sur la conduite mais qui ne se mêlent pas à tous les incidents de l’existence et ne sauraient devenir régulatrices de la vie entière. La vérité est que, la conviction une fois installée dans la volonté, celle-ci la pousse dans les directions qu’elle trouve ouvertes ou qui s’ouvrent sur les points de moindre résistance au cours de son effort. L’intention qu’elle sent présente, elle l’utilisera par tous les moyens, soit en la prenant dans ce qu’elle a de physiquement efficace, en s’exagérant même ce qu’elle a de matériel et en tâchant alors de la maîtriser par la force, soit en l’abordant par le côté moral, en la poussant au contraire dans le sens de la personnalité pour la gagner par la prière. C’est donc de l’exigence d’une magie efficace qu’est sortie une conception comme celle du mana, appauvrissement ou matérialisation de la croyance originelle ;