Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/200

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par des représentations imaginatives auxquelles il adossera son activité dans l’immobilité. Mais nous verrons aussi que le dynamisme religieux a besoin de la religion statique pour s’exprimer et se répandre. On comprend donc que celle-ci tienne la première place dans l’histoire des religions. Encore une fois, nous n’avons pas à la suivre dans l’immense variété de ses manifestations. Il suffira d’indiquer les principales, et d’en marquer l’enchaînement.

Partons donc de l’idée qu’il y a des intentions inhérentes aux choses : nous arriverons tout de suite à nous représenter des esprits. Ce sont les vagues entités qui peuplent, par exemple, les sources, les fleuves, les fontaines. Chaque esprit est attaché à l’endroit où il se manifeste. Il se distingue déjà par là de la divinité proprement dite, qui saura se partager, sans se diviser, entre des lieux différents, et régir tout ce qui appartient à un même genre. Celle-ci portera un nom ; elle aura sa figure à elle, sa personnalité bien marquée, tandis que les mille esprits des bois ou des sources sont des exemplaires du même modèle et pourraient tout au plus dire avec Horace : Nos numerus sumus. Plus tard, quand la religion se sera élevée jusqu’à ces grands personnages que sont les dieux, elle pourra concevoir les esprits à leur image : ceux-ci seront des dieux inférieurs ; ils paraîtront alors l’avoir toujours été. Mais ils ne l’auront été que par un effet rétroactif. Il a sans doute fallu bien du temps, chez les Grecs, pour que l’esprit de la source devînt une nymphe gracieuse et celui du bois une Hamadryade. Primitivement, l’esprit de la source n’a dû être que la source même, en tant que bienfaitrice de l’homme. Plus précisément, il était cette action bienfaisante, dans ce qu’elle a de permanent. On aurait tort de prendre ici pour une idée