Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/220

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milliers de milliers d’obstacles ; ces obstacles tournés sont ce qui apparaît à notre perception et à notre science dans la multiplicité des cellules constitutives de l’œil, dans la complication de l’appareil visuel, enfin dans les mécanismes élémentaires de l’opération. De même, posez l’espèce humaine, c’est-à-dire le saut brusque par lequel la vie qui évoluait est parvenue à l’homme individuel et social : du même coup vous vous donnez l’intelligence fabricatrice et par suite un effort qui se poursuivra, en vertu de son élan, au delà de la simple fabrication pour laquelle il était fait, créant ainsi un danger. Si l’espèce humaine existe, c’est que le même acte par lequel était posé l’homme avec l’intelligence fabricatrice, avec l’effort continué de l’intelligence, avec le danger créé par la continuation de l’effort, suscitait la fonction fabulatrice. Celle-ci n’a donc pas été voulue par la nature ; et pourtant elle s’explique naturellement. Si, en effet, nous la joignons à toutes les autres fonctions psychologiques, nous trouvons que l’ensemble exprime sous forme de multiplicité l’acte indivisible par lequel la vie a sauté de l’échelon où elle s’était arrêtée jusqu’à l’homme.

Mais voyons de plus près pourquoi cette faculté fabulatrice impose ses inventions avec une force exceptionnelle quand elle s’exerce dans le domaine religieux. Elle est là chez elle, sans aucun doute ; elle est faite pour fabriquer des esprits et des dieux ; mais comme elle continue ailleurs son travail de fabulation, il y a lieu de se demander pourquoi, opérant encore de même, elle n’obtient plus alors la même créance. On trouverait à cela deux raisons.

La première est qu’en matière religieuse l’adhésion de chacun se renforce de l’adhésion de tous. Déjà, au théâtre, la docilité