Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/233

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHAPITRE III

la religion dynamique


Jetons un coup d’œil en arrière sur la vie, dont nous avions jadis suivi le développement jusqu’au point où la religion devait sortir d’elle. Un grand courant d’énergie créatrice se lance dans la matière pour en obtenir ce qu’il peut. Sur la plupart des points il est arrêté ; ces arrêts se traduisent à nos yeux par autant d’apparitions d’espèces vivantes, c’est-à-dire d’organismes où notre regard, essentiellement analytique et synthétique, démêle une multitude d’éléments se coordonnant pour accomplir une multitude de fonctions ; le travail d’organisation n’était pourtant que l’arrêt lui-même, acte simple, analogue à l’enfoncement du pied qui détermine instantanément des milliers de grains de sable à s’entendre pour donner un dessin. Sur une des lignes où elle avait réussi à aller le plus loin, on aurait pu croire que cette énergie vitale entraînerait ce qu’elle avait de meilleur et continuerait droit devant elle ; mais elle s’infléchit, et tout se recourba : des êtres surgirent dont l’activité tournait indéfiniment dans le même cercle, dont les organes étaient des instruments tout faits au lieu de laisser la place ouverte à une invention sans cesse renouvelable d’outils, dont la conscience glissait dans le somnambulisme de l’instinct au lieu de se redresser et de s’intensifier en pensée réflé-