Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/245

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une vision, un contact, la révélation d’une réalité transcendante. Cet effort n’aurait jamais atteint le but ; mais chaque fois, au moment de s’épuiser, il aurait confié à la dialectique ce qui restait de lui-même plutôt que de disparaître tout entier ; et ainsi, avec la même dépense de force, une nouvelle tentative pouvait ne s’arrêter que plus loin, l’intelligence se trouvant rejointe en un point plus avancé d’un développement philosophique qui avait, dans l’intervalle, acquis plus d’élasticité et comportait plus de mysticité. Par le fait, nous voyons une première vague, purement dionysiaque, venir se perdre dans l’orphisme, qui était d’une intellectualité supérieure ; une seconde, qu’on pourrait appeler orphique, aboutit au pythagorisme, c’est-à-dire à une philosophie ; à son tour le pythagorisme communiqua quelque chose de son esprit au platonisme ; et celui-ci, l’ayant recueilli, s’ouvrit naturellement plus tard au mysticisme alexandrin. Mais de quelque manière qu’on se représente le rapport entre les deux courants, l’un intellectuel, l’autre extra-intellectuel, c’est seulement en se plaçant au terme qu’on peut qualifier celui-ci de supra-intellectuel ou de mystique, et tenir pour mystique une impulsion qui partit des mystères.

Resterait à savoir, alors, si le terme du mouvement fut un mysticisme complet. On peut donner aux mots le sens qu’on veut, pourvu qu’on le définisse d’abord. À nos yeux, l’aboutissement du mysticisme est une prise de contact, et par conséquent une coïncidence partielle, avec l’effort créateur que manifeste la vie. Cet effort est de Dieu, si ce n’est pas Dieu lui-même. Le grand mystique serait une individualité qui franchirait les limites assignées à l’espèce par sa matérialité, qui continuerait et prolongerait ainsi l’action divine. Telle est notre définition.