Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/256

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Elle s’arrête, comme si elle écoutait une voix qui l’appelle. Puis elle se laisse porter, droit en avant. Elle ne perçoit pas directement la force qui la meut, mais elle en sent l’indéfinissable présence, ou la devine à travers une vision symbolique. Vient alors une immensité de joie, extase où elle s’absorbe ou ravissement qu’elle subit : Dieu est là, et elle est en lui. Plus de mystère. Les problèmes s’évanouissent, les obscurités se dissipent ; c’est une illumination. Mais pour combien de temps ? Une imperceptible inquiétude, qui planait sur l’extase, descend et s’attache à elle comme son ombre. Elle suffirait déjà, même sans les états qui vont suivre, à distinguer le mysticisme vrai, complet, de ce qui en fut jadis l’imitation anticipée ou la préparation. Elle montre en effet que l’âme du grand mystique ne s’arrête pas à l’extase comme au terme d’un voyage. C’est bien le repos, si l’on veut, mais comme à une station où la machine resterait sous pression, le mouvement se continuant en ébranlement sur place dans l’attente d’un nouveau bond en avant. Disons plus précisément : l’union avec Dieu a beau être étroite, elle ne serait définitive que si elle était totale. Plus de distance, sans doute, entre la pensée et l’objet de la pensée, puisque les problèmes sont tombés qui mesuraient et même constituaient l’écart. Plus de séparation radicale entre ce qui aime et ce qui est aimé : Dieu est présent et la joie est sans bornes. Mais si l’âme s’absorbe en Dieu par la pensée et par le sentiment, quelque chose d’elle reste en dehors : c’est la volonté : son action, si elle agissait, procéderait simplement d’elle. Sa vie n’est donc pas encore divine. Elle le sait ; vaguement elle s’en inquiète, et cette agitation dans le repos est caractéristique de ce que nous appelons le mysticisme complet : elle exprime que l’élan avait été pris pour aller