Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/26

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ils croient résoudre l’obligation en éléments rationnels. Pour résister à la résistance, pour nous maintenir dans le droit chemin quand le désir, la passion ou l’intérêt nous en détournent, nous devons nécessairement nous donner à nous-mêmes des raisons. Même si nous avons opposé au désir illicite un autre désir, celui-ci, suscité par la volonté, n’a pu surgir qu’à l’appel d’une idée. Bref, un être intelligent agit sur lui-même par l’intermédiaire de l’intelligence. Mais, de ce que c’est par des voies rationnelles qu’on revient à l’obligation, il ne suit pas que l’obligation ait été d’ordre rationnel. Nous nous appesantirons plus tard sur ce point ; nous ne voulons pas encore discuter les théories morales. Disons simplement qu’autre chose est une tendance, naturelle ou acquise, autre chose la méthode nécessairement rationnelle qu’emploiera, pour lui rendre sa force et pour combattre ce qui s’oppose à elle, un être raisonnable. Dans ce dernier cas, la tendance éclipsée peut reparaître ; et tout se passe sans doute alors comme si l’on avait réussi par cette méthode à reconstituer la tendance. En réalité, on n’a fait qu’écarter ce qui la gênait ou l’arrêtait. Cela revient au même, je le veux bien, dans la pratique : qu’on explique le fait d’une manière ou d’une autre, le fait est là, on a réussi. Et il vaut peut-être mieux, pour réussir, se figurer que les choses se sont passées de la première manière. Mais poser qu’il en est effectivement ainsi serait fausser la théorie de l’obligation. N’est-ce pas ce qui est arrivé à la plupart des philosophes ?

Qu’on ne se méprenne pas sur notre pensée. Même si l’on s’en tient à un certain aspect de la morale, comme nous l’avons fait jusqu’à présent, on constatera bien des attitudes différentes vis-à-vis du devoir. Elles jalonnent l’intervalle entre deux attitudes ou plutôt deux habitudes