Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/271

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de fabrication qui est l’objet propre de l’intelligence humaine, nous devons fixer par la pensée des stations, de même que nous attendons quelques instants de ralentissement ou d’arrêt relatif pour tirer sur un but mobile. Mais ces repos, qui ne sont que des accidents du mouvement et qui se réduisent d’ailleurs à de pures apparences, ces qualités qui ne sont que des instantanés pris sur le changement, deviennent à nos yeux le réel et l’essentiel, justement parce qu’ils sont ce qui intéresse notre action sur les choses. Le repos devient ainsi pour nous antérieur et supérieur au mouvement, lequel ne serait qu’une agitation en vue de l’atteindre. L’immutabilité serait ainsi au-dessus de la mutabilité, laquelle ne serait qu’une déficience, un manque, une recherche de la forme définitive. Bien plus, c’est par cet écart entre le point où la chose est et celui où elle devrait, où elle voudrait être, que se définira et même se mesurera le mouvement et le changement. La durée devient par là une dégradation de l’être, le temps une privation d’éternité. C’est toute cette métaphysique qui est impliquée dans la conception aristotélicienne de la divinité. Elle consiste à diviniser et le travail social qui est préparatoire du langage, et le travail individuel de fabrication qui exige des patrons ou des modèles : l’eidos (Idée ou Forme) est ce qui correspond à ce double travail ; l’Idée des Idées ou Pensée de la Pensée se trouve donc être la divinité même. Quand on a ainsi reconstitué l’origine et la signification du Dieu d’Aristote, on se demande comment les modernes traitent de l’existence et de la nature de Dieu en s’embarrassant de problèmes insolubles qui ne se posent que si l’on envisage Dieu du point de vue aristotélique et si l’on consent à appeler de ce nom un être que les hommes n’ont jamais songé à invoquer.