Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/276

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parlions jadis de ces « lignes de faits » dont chacune ne fournit que la direction de la vérité parce qu’elle ne va pas assez loin : en prolongeant deux d’entre elles jusqu’au point où elles se coupent, on arrivera pourtant à la vérité même. L’arpenteur mesure la distance d’un point inaccessible en le visant tour à tour de deux points auxquels il a accès. Nous estimons que cette méthode de recoupement est la seule qui puisse faire avancer définitivement la métaphysique. Par elle s’établira une collaboration entre philosophes ; la métaphysique, comme la science, progressera par accumulation graduelle de résultats acquis, au lieu d’être un système complet, à prendre ou à laisser, toujours contesté, toujours à recommencer. Or il se trouve précisément que l’approfondissement d’un certain ordre de problèmes, tout différents du problème religieux, nous a conduit à des conclusions qui rendaient probable l’existence d’une expérience singulière, privilégiée, telle que l’expérience mystique. Et d’autre part l’expérience mystique, étudiée pour elle-même, nous fournit des indications capables de s’ajouter aux enseignements obtenus dans un tout autre domaine, par une tout autre méthode. Il y a donc bien ici renforcement et complément réciproques. Commençons par le premier point.

C’est en suivant d’aussi près que possible les données de la biologie que nous étions arrivés à la conception d’un élan vital et d’une évolution créatrice. Nous le montrions au début du précédent chapitre : cette conception n’avait rien de commun avec les hypothèses sur lesquelles se construisent les métaphysiques ; c’était une condensation de faits, un résumé de résumés. Maintenant, d’où venait l’élan, et quel en était le principe ? S’il se suffisait à lui-même, qu’était-il en lui-même, et quel sens fallait-il