Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/280

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il n’a que faire de déterminations qui sont des négations et qui ne peuvent s’exprimer que négativement ; il croit voir ce que Dieu est, il n’a aucune vision de ce que Dieu n’est pas. C’est donc sur la nature de Dieu, immédiatement saisie dans ce qu’elle a de positif, je veux dire de perceptible aux yeux de l’âme, que le philosophe devra l’interroger.

Cette nature, le philosophe aurait vite fait de la définir s’il voulait mettre le mysticisme en formule. Dieu est amour, et il est objet d’amour : tout l’apport du mysticisme est là. De ce double amour le mystique n’aura jamais fini de parler. Sa description est interminable parce que la chose à décrire est inexprimable. Mais ce qu’elle dit clairement, c’est que l’amour divin n’est pas quelque chose de Dieu : c’est Dieu lui-même. À cette indication s’attachera le philosophe qui tient Dieu pour une personne et qui ne veut pourtant pas donner dans un grossier anthropomorphisme. Il pensera par exemple à l’enthousiasme qui peut embraser une âme, consumer ce qui s’y trouve et occuper désormais toute la place. La personne coïncide alors avec cette émotion ; jamais pourtant elle ne fut à tel point elle-même — elle est simplifiée, unifiée, intensifiée. Jamais non plus elle n’a été aussi chargée de pensée, s’il est vrai, comme nous le disions, qu’il y ait deux espèces d’émotion, l’une infra-intellectuelle, qui n’est qu’une agitation consécutive à une représentation, l’autre supra-intellectuelle, qui précède l’idée et qui est plus qu’idée, mais qui s’épanouirait en idées si elle voulait, âme toute pure, se donner un corps. Quoi de plus construit, quoi de plus savant qu’une symphonie de Beethoven ? Mais tout le long de son travail d’arrangement, de réarrangement et de choix, qui se poursuivait sur le plan intellectuel, le musicien remontait