Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/307

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

n’en avons plus la révélation que de loin en loin, dans un éclair. Il faudra la rappeler et la fixer.

Disons d’abord que l’homme avait été fait pour de très petites sociétés. Que telles aient été les sociétés primitives, on l’admet généralement. Mais il faut ajouter que l’ancien état d’âme subsiste, dissimulé sous des habitudes sans lesquelles il n’y aurait pas de civilisation. Refoulé, impuissant, il demeure pourtant dans les profondeurs de la conscience. S’il ne va pas jusqu’à obtenir des actes, il manifeste par des paroles. Dans une grande nation, des communes peuvent être administrées à la satisfaction générale ; mais quel est le gouvernement que les gouvernés se décideront à déclarer bon ? Ils croiront le louer suffisamment quand ils diront que c’est le moins mauvais de tous, et en ce sens seulement le meilleur. C’est qu’ici le mécontentement est congénital. Remarquons que l’art de gouverner un grand peuple est le seul pour lequel il n’y ait pas de technique préparatoire, pas d’éducation efficace, surtout s’il s’agit des plus hauts emplois. L’extrême rareté des hommes politiques de quelque envergure tient à ce qu’ils doivent résoudre à tout moment, dans le détail, un problème que l’extension prise par les sociétés a peut-être rendu insoluble. Étudiez l’histoire des grandes nations modernes : vous y trouverez nombre de grands savants, de grands artistes, de grands soldats, de grands spécialistes en toute matière, — mais combien de grands hommes d’État ?

La nature, qui a voulu de petites sociétés, a pourtant ouvert la porte à leur agrandissement. Car elle a voulu aussi la guerre, ou du moins elle a fait à l’homme des conditions de vie qui rendaient la guerre inévitable. Or, des menaces de guerre peuvent déterminer plusieurs petites