Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/339

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à l’application ; et comme la science ne saurait s’arrêter, il semble bien, en effet, qu’il ne doive pas y avoir de fin à la satisfaction de nos anciens besoins, à la création de besoins nouveaux. Mais il faudrait d’abord se demander si l’esprit d’invention suscite nécessairement des besoins artificiels, ou si ce ne serait pas le besoin artificiel qui aurait orienté ici l’esprit d’invention.

La seconde hypothèse est de beaucoup la plus probable. Elle est confirmée par des recherches récentes sur les origines du machinisme. On a rappelé que l’homme avait toujours inventé des machines, que l’antiquité en avait connu de remarquables, que des dispositifs ingénieux furent imaginés bien avant l’éclosion de la science moderne et ensuite, très souvent, indépendamment d’elle : aujourd’hui encore de simples ouvriers, sans culture scientifique, trouvent des perfectionnements auxquels de savants ingénieurs n’avaient pas pensé. L’invention mécanique est un don naturel. Sans doute elle a été limitée dans ses effets tant qu’elle s’est bornée à utiliser des énergies actuelles et, en quelque sorte, visibles : effort musculaire, force du vent ou d’une chute d’eau. La machine n’a donné tout son rendement que du jour où l’on a su mettre à son service, par un simple déclenchement, des énergies potentielles emmagasinées pendant des millions d’années, empruntées au soleil, disposées dans la houille, le pétrole, etc. Mais ce jour fut celui de l’invention de la machine à vapeur, et l’on sait qu’elle n’est pas sortie de considérations théoriques. Hâtons-nous d’ajouter que le progrès, d’abord lent, s’est effectué à pas de géant lorsque la science se fut mise de la partie. Il n’en est pas moins vrai que l’esprit d’invention mécanique,