Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/346

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auteur apporte une contribution inappréciable à la philosophie de l’histoire. Mais il jugerait probablement lui-même que le mysticisme ainsi entendu, ainsi compris d’ailleurs par l’« impérialisme » tel qu’il le présente, n’est que la contrefaçon du mysticisme vrai, de la « religion dynamique » que nous avons étudiée dans notre dernier chapitre. Nous croyons apercevoir le mécanisme de cette contrefaçon. Ce fut un emprunt à la « religion statique » des anciens, qu’on démarqua et qu’on laissa à sa forme statique sous l’étiquette nouvelle que la religion dynamique fournissait. La contrefaçon n’avait d’ailleurs aucune intention délictueuse ; elle était à peine voulue. Rappelons-nous en effet que la « religion statique » est naturelle à l’homme, et que la nature humaine ne change pas. Les croyances innées à nos ancêtres subsistent au plus profond de nous-mêmes ; elles reparaissent, dès qu’elles ne sont plus refoulées par des forces antagonistes. Or un des traits essentiels des religions antiques était l’idée d’un lien entre les groupements humains et des divinités attachées à chacun d’eux. Les dieux de la cité combattaient pour elle, avec elle. Cette croyance est incompatible avec le mysticisme vrai, je veux dire avec le sentiment qu’ont certaines âmes d’être les instruments d’un Dieu qui aime tous les hommes d’un égal amour, et qui leur demande de s’aimer entre eux. Mais, remontant des profondeurs obscures de l’âme à la surface de la conscience, et y rencontrant l’image du mysticisme vrai telle que les mystiques modernes l’ont présentée au monde, instinctivement elle s’en affuble ; elle attribue au Dieu du mystique moderne le nationalisme des anciens dieux. C’est dans ce sens que l’impérialisme se fait mysticisme. Que si l’on s’en tient au mysticisme vrai, on le jugera incompatible avec l’impérialisme. Tout au plus dira-