Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/100

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qui l’accompagnaient et qui l’encadrent encore ; elle se distingue de celles qui précèdent et de celles qui suivent par la place même qu’elle a occupée dans le temps ; bref, chacune de ces lectures repasse devant moi comme un événement déterminé de mon histoire. On dira encore que ces images sont des souvenirs, qu’elles se sont imprimées dans ma mémoire. On emploie les mêmes mots dans les deux cas. S’agit-il bien de la même chose ?

Le souvenir de la leçon, en tant qu’apprise par cœur, a tous les caractères d’une habitude. Comme l’habitude, il s’acquiert par la répétition d’un même effort. Comme l’habitude, il a exigé la décomposition d’abord, puis la recom­position de l’action totale. Comme tout exercice habituel du corps, enfin, il s’est emmagasiné dans un mécanisme qu’ébranle tout entier une impulsion initiale, dans un système clos de mouvements automatiques, qui se succèdent dans le même ordre et occupent le même temps.

Au contraire, le souvenir de telle lecture particulière, la seconde ou la troi­sième par exemple, n’a aucun des caractères de l’habitude. L’image s’en est nécessairement imprimée du premier coup dans la mémoire, puisque les autres lectures constituent, par définition même, des souvenirs différents. C’est com­me un événement de ma vie ; il a pour essence de porter une date, et de ne pouvoir par conséquent se répéter. Tout ce que les lectures ultérieures y ajou­teraient ne ferait qu’en altérer la nature originelle ; et si mon effort pour évoquer cette image devient de plus en plus facile à mesure que je le répète plus souvent, l’image même, envisagée en soi, était nécessairement d’abord ce qu’elle sera toujours.

Dira-t-on que ces deux souvenirs, celui de la lecture et celui de