Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/146

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complète, arrivée à la pleine conscience d’elle-même ?

Nous abordons la seconde partie de cette étude : des mouvements nous passons aux souvenirs. La reconnaissance attentive, disions-nous, est un véritable circuit, où l’objet extérieur nous livre des parties de plus en plus profondes de lui-même à mesure que notre mémoire, symétriquement placée, adopte une plus haute tension pour projeter vers lui ses souvenirs. Dans le cas particulier qui nous occupe, l’objet est un interlocuteur dont les idées s’épa­nouissent dans sa conscience en représentations auditives, pour se matérialiser ensuite en mots prononcés. Il faudra donc, si nous sommes dans le vrai, que l’auditeur se place d’emblée parmi des idées correspondantes, et les déve­loppe en représentations auditives qui recouvriront les sons bruts perçus en s’emboîtant elles-mêmes dans le schème moteur. Suivre un calcul, c’est le refaire pour son propre compte. Comprendre la parole d’autrui consisterait de même à reconstituer intelligemment, c’est-à-dire en partant des idées, la continuité des sons que l’oreille perçoit. Et plus généralement, faire attention, reconnaître avec intelligence, interpréter, se confondraient en une seule et même opération par laquelle l’esprit, ayant fixé son niveau, ayant choisi en lui-même, par rapport aux perceptions brutes, le point symétrique de leur cause plus ou moins prochaine, laisserait couler vers elles les souvenirs qui vont les recouvrir.

Hâtons-nous de le dire, ce n’est point ainsi qu’on envisage ordinairement les choses. Nos habitudes associationnistes sont là, en vertu desquelles nous nous représentons des sons