Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/157

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se d’après laquelle chaque image irait décrocher son idée. À vrai dire, il n’y a jamais là qu’une question de degré : raffinée ou grossière, une langue sous-entend beaucoup plus de choses qu’elle n’en peut exprimer. Essentiellement discontinue, puis­qu’elle procède par mots juxtaposés, la parole ne fait que jalonner de loin en loin les principales étapes du mouvement de la pensée. C’est pourquoi je comprendrai votre parole si je pars d’une pensée analogue à la vôtre pour en suivre les sinuosités à l’aide d’images verbales destinées, comme autant d’écri­teaux, à me montrer de temps en temps le chemin. Mais je ne la comprendrai jamais si je pars des images verbales elles-mêmes, parce que entre deux images verbales consécutives il y a un intervalle que toutes les représentations concrètes n’arriveraient pas à combler. Les images ne seront jamais en effet que des choses, et la pensée est un mouvement.

C’est donc en vain qu’on traite images-souvenirs et idées comme des choses toutes faites, auxquelles on assigne ensuite pour demeure des centres problématiques. On a beau déguiser l’hypothèse sous un langage emprunté à l’anatomie et à la physiologie, elle n’est point autre chose que la conception associationniste de la vie de l’esprit ; elle n’a pour elle que la tendance cons­tante de l’intelligence discursive à découper tout progrès en phases et à solidi­fier ensuite ces phases en choses ; et comme elle est née, a priori, d’une espèce de préjugé métaphysique, elle n’a ni l’avantage de suivre le mouvement de la conscience ni celui de simplifier l’explication des faite. Mais nous devons poursuivre cette illusion jusqu’au point précis où elle aboutit à une contra­diction manifeste. Les idées, disions-