Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/239

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

est « réciproque » [1], formule les lois du mouvement comme si le mouvement était un absolu[2]. Leibniz, et d’autres après lui, ont signalé cette contradiction[3] : elle tient simplement à ce que Descartes traite du mouvement en physicien après l’avoir défini en géomètre. Tout mouvement est relatif pour le géomètre : cela signifie seulement, à notre sens, qu’il n’y a pas de symbole mathématique capable d’exprimer que ce soit le mobile qui se meut plutôt que les axes ou les points auxquels on le rapporte. Et c’est bien naturel, puisque ces symboles, toujours destinés à des mesures, ne peuvent exprimer que des distances. Mais qu’il y ait un mouvement réel, personne ne peut le contester sérieusement : sinon, rien ne changerait dans l’univers, et surtout on ne voit pas ce que signifierait la conscience que nous avons de nos propres mouvements. Dans sa controverse avec Descartes, Morus faisait plaisamment allusion à ce dernier point : « Quand je suis assis tranquille, et qu’un autre, s’éloignant de mille pas, est rouge de fatigue, c’est bien lui qui se meut et c’est moi qui me repose[4]. »

Mais s’il y a un mouvement absolu, peut-on persister à ne voir dans le mouvement qu’un changement de lieu ? Il faudra alors ériger la diversité de lieu en différence absolue, et distinguer des positions absolues dans un espace absolu. Newton est allé jusque-là[5], suivi d’ailleurs par Euler[6] et par d’

  1. DESCARTES, Principes, II, 29.
  2. Principes, IIe partie, § 37 et suiv.
  3. LEIBNIZ, Specimen dynamicum (Mathem. Schriften, Gerhardt, 2e section, 2e vol., p. 246).
  4. H. MORUS, Scripta philosophica, 1679, t. II, p. 248.
  5. NEWTON, Principia (éd. THOMSON, 1871, p. 6 et suiv.).
  6. EULER, Theoria motus corporum solidorum, 1765, pp. 30-33.