Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/276

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influence perdue : mais en aucun cas le cerveau n’emmagasinera des souvenirs ou des images. Ainsi, ni dans la perception, ni dans la mémoire, ni, à plus forte raison, dans les opéra­tions supérieures de l’esprit, le corps ne contribue directement à la représen­tation. En développant cette hypothèse sous ses multiples aspects, en poussant ainsi le dualisme à l’extrême, nous paraissions creuser entre le corps et l’esprit un abîme infranchissable. En réalité, nous indiquions le seul moyen possible de les rapprocher et de les unir.

II. — Toutes les difficultés que ce problème soulève, en effet, soit dans le dualisme vulgaire, soit dans le matérialisme et dans l’idéalisme, viennent de ce que l’on considère, dans les phénomènes de perception et de mémoire, le physique et le moral comme des duplicata l’un de l’autre. Me placerai-je au point de vue matérialiste de la conscience-épiphénomène ? Je ne comprends pas du tout pourquoi certains phénomènes cérébraux s’accompagnent de con­science, c’est-à-dire à quoi sert ou comment se produit la répétition consciente de l’univers matériel qu’on a posé d’abord. — Passerai-je à l’idéalisme ? Je ne me donnerai alors que des perceptions, et mon corps sera l’une d’elles. Mais tandis que l’observation me montre que les images perçues se bouleversent de fond en comble pour des variations très légères de celle que j’appelle mon corps (puisqu’il me suffit de fermer les yeux pour que mon univers visuel s’évanouisse), la science m’assure que tous les phénomènes doivent se succé­der et se conditionner selon un ordre déterminé, où les effets sont rigoureu­sement proportionnés aux causes. Je vais donc être obligé de chercher dans cette image que j’appelle mon corps, et qui me suit partout, des changements qui soient les équivalents, cette fois