Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/278

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d’un seul et même principe, à nier ainsi leur influence réciproque, et, par une conséquence inévitable, à faire le sacrifice de la liberté.

Maintenant, en creusant au-dessous de ces trois hypothèses, je leur découvre un fond commun : elles tiennent les opérations élémentaires de l’esprit, perception et mémoire, pour des opérations de connaissance pure. Ce qu’elles mettent à l’origine de la conscience, c’est tantôt le duplicat inutile d’une réalité extérieure, tantôt la matière inerte d’une construction intellec­tuelle toute désintéressée : mais toujours elles négligent le rapport de la perception à l’action et du souvenir à la conduite. Or, on peut concevoir sans doute, comme une limite idéale, une mémoire et une perception désintéres­sées ; mais, en fait, c’est vers l’action que perception et mémoire sont tournées, c’est cette action que le corps prépare. S’agit-il de la perception ? La com­plexité croissante du système nerveux met l’ébranlement reçu en rapport avec une variété de plus en plus considérable d’appareils moteurs et fait esquisser simultanément ainsi un nombre de plus en plus grand d’actions possibles. Considère-t-on la mémoire ? Elle a pour fonction première d’évoquer toutes les perceptions passées analogues à une perception présente, de nous rappeler ce qui a précédé et ce qui a suivi, de nous suggérer ainsi la décision la plus utile. Mais ce n’est pas tout. En nous faisant saisir dans une intuition unique des moments multiples de la durée, elle nous dégage du mouvement d’écoule­ment des choses, c’est-à-dire du rythme de la nécessité. Plus elle pourra contracter de ces moments en un seul, plus solide est la prise qu’elle nous donnera sur la matière ; de sorte que la mémoire d’un être vivant parait bien mesurer avant tout la puissance de