Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/291

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l’analyse du « souvenir pur », qu’il n’y a pas entre le souvenir et la perception une simple différence de degré, mais une différence radicale de nature.

VII. — Signalons tout de suite la portée métaphysique, et non plus simple­ment psychologique, de ce dernier problème. C’est sans doute une thèse de pure psychologie que celle-ci : le souvenir est une perception affaiblie. Mais qu’on ne s’y trompe pas : si le souvenir n’est qu’une perception plus faible, inversement la perception sera quelque chose comme un souvenir plus inten­se. Or, le germe de l’idéalisme anglais est là. Cet idéalisme consiste à ne voir qu’une différence de degré, et non pas de nature, entre la réalité de l’objet perçu et l’idéalité de l’objet conçu. Et l’idée que nous construisons la matière avec nos états intérieurs, que la perception n’est qu’une hallucination vraie, vient de là également. C’est cette idée que nous n’avons cessé de combattre quand nous avons traité de la matière. Ou bien donc notre conception de la matière est fausse, ou le souvenir se distingue radicalement de la perception.

Nous avons ainsi transposé un problème métaphysique au point de le faire coïncider avec un problème de psychologie, que l’observation pure et simple peut trancher. Comment le tranche-t-elle ? Si le souvenir d’une perception n’était que cette perception affaiblie, il nous arriverait, par exemple, de pren­dre la perception d’un son léger pour le souvenir d’un bruit intense. Or, pareille confusion ne se produit jamais. Mais on peut aller plus loin, et prouver, par l’observation encore, que jamais la conscience d’un souvenir ne commence par être un état actuel plus faible que nous chercherions à rejeter dans le passé après avoir pris conscience de sa faiblesse :