Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/293

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intense : il est ce qui agit sur nous et ce qui nous fait agir, il est sensoriel et il est moteur ; — notre présent est avant tout l’état de notre corps. Notre passé est au contraire ce qui n’agit plus, mais pourrait agir, ce qui agira en s’insérant dans une sensation présente dont il empruntera la vitalité. Il est vrai qu’au moment où le souvenir s’actualise ainsi en agissant, il cesse d’être souvenir, il redevient perception.

On comprend alors pourquoi le souvenir ne pouvait pas résulter d’un état cérébral. L’état cérébral continue le souvenir ; il lui donne prise sur le présent par la matérialité qu’il lui confère ; mais le souvenir pur est une manifestation spirituelle. Avec la mémoire nous sommes bien véritablement dans le domaine de l’esprit.

VIII. — Nous n’avions pas à explorer ce domaine. Placés au confluent de l’esprit et de la matière, désireux avant tout de les voir couler l’un dans l’autre, nous ne devions retenir de la spontanéité de l’intelligence que son point de jonction avec un mécanisme corporel. C’est ainsi que nous avons pu assister au phénomène de l’association des idées, et à la naissance des idées générales les plus simples.

Quelle est l’erreur capitale de l’associationnisme ? C’est d’avoir mis tous les souvenirs sur le même plan, d’avoir méconnu la distance plus ou moins considérable qui les sépare de l’état corporel présent, c’est-à-dire de l’action. Aussi n’a-t-il pu expliquer ni comment le souvenir adhère à la perception qui l’évoque, ni pourquoi l’association se fait par ressemblance ou contiguïté plutôt que de toute autre manière, ni enfin par quel caprice ce souvenir déter­miné est élu parmi les mille souvenirs que la ressemblance ou la contiguïté rattacherait aussi bien à la perception actuelle. C’est dire