Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/43

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fense. En un mot, plus la réaction doit être immédiate, plus il faut que la perception ressemble à un simple contact, et le processus complet de perception et de réaction se distingue à peine alors de l’impulsion mécanique suivie d’un mouvement nécessaire. Mais à mesure que la réaction devient plus incertaine, qu’elle laisse plus de place à l’hésitation, à mesure aussi s’accroît la distance à laquelle se fait sentir sur l’animal l’action de l’objet qui l’intéresse. Par la vue, par l’ouïe, il se met en rapport avec un nombre toujours plus grand de choses, il subit des influences de plus en plus lointaines ; et soit que ces objets lui promettent un avantage, soit qu’ils le menacent d’un danger, promesses et menaces reculent leur échéance. La part d’indépendance dont un être vivant dispose, ou, comme nous dirons, la zone d’indétermination qui entoure son activité, permet donc d’évaluer a priori le nombre et l’éloignement des choses avec lesquelles il est en rapport. Quel que soit ce rapport, quelle que soit donc la nature intime de la perception, on peut affirmer que l’amplitude de la per­ception mesure exactement l’indétermination de l’action consécutive, et par conséquent énoncer cette loi : la perception dispose de l’espace dans l’exacte proportion où l’action dispose du temps.

Mais pourquoi ce rapport de l’organisme à des objets plus ou moins lointains prend-il la forme particulière d’une perception consciente ? Nous avons examiné ce qui se passe dans le corps organisé ; nous avons vu des mouvements transmis ou inhibés, métamorphosés en actions accomplies ou éparpillés en actions naissantes. Ces mouvements nous ont paru intéresser l’action, et l’action seulement ; ils restent absolument étrangers au processus de la représentation. Nous avons considé