Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/45

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sur cette perception impersonnelle, que cette perception est à la base même de notre connaissance des choses, et que c’est pour l’avoir méconnue, pour ne pas l’avoir distinguée de ce que la mémoire y ajoute ou en retranche, qu’on a fait de la perception tout entière une espèce de vision intérieure et subjective, qui ne différerait du souvenir que par sa plus grande intensité. Telle sera donc notre première hypothèse. Mais elle en entraîne naturellement une autre. Si courte qu’on suppose une perception, en effet, elle occupe toujours une certai­ne durée, et exige par conséquent un effort de la mémoire, qui prolonge les uns dans les autres une pluralité de moments. Même, comme nous essaie­rons de le montrer, la « subjectivité » des qualités sensibles consiste surtout dans une espèce de contraction du réel, opérée par notre mémoire. Bref, la mémoire sous ces deux formes, en tant qu’elle recouvre d’une nappe de souvenirs un fond de perception immédiate et en tant aussi qu’elle contracte une multiplicité de moments, constitue le principal apport de la conscience individuelle dans la perception, le côté subjectif de notre connaissance des choses ; et en négli­geant cet apport pour rendre notre idée plus claire, nous allons nous avancer beaucoup plus loin qu’il ne convient sur la voie où nous nous sommes engagés. Nous en serons quittes pour revenir ensuite sur nos pas, et pour corriger, par la réintégration surtout de la mémoire, ce que nos conclusions pourraient avoir d’excessif. Il ne faut donc voir dans ce qui va suivre qu’un exposé schématique, et nous demanderons qu’on entende provisoirement par perception non pas ma perception concrète et complexe, celle que gonflent mes souvenirs et qui offre toujours une certaine épaisseur de durée, mais la perception pure, une perception qui