Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/57

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tre qu’il n’y a jamais d’image sans objet. Mais dès que vous adjoignez aux processus intracérébraux l’objet extérieur qui en est cause, je vois très bien comment l’image de cet objet est donnée avec lui et en lui, je ne vois pas du tout comment elle naîtrait du mouvement cérébral.

Quand une lésion des nerfs ou des centres interrompt le trajet de l’ébranle­ment nerveux, la perception est diminuée d’autant. Faut-il s’en étonner ? Le rôle du système nerveux est d’utiliser cet ébranlement, de le convertir en démarches pratiques, réellement ou virtuellement accomplies. Si, pour une raison ou pour une autre, l’excitation ne passe plus, il serait étrange que la perception correspondante eût lieu encore, puisque cette perception mettrait alors notre corps en relation avec des points de l’espace qui ne l’inviteraient plus directement à faire un choix. Sectionnez le nerf optique d’un animal ; l’ébranlement parti du point lumineux ne se transmet plus au cerveau et de là aux nerfs moteurs ; le fil qui reliait l’objet extérieur aux mécanismes moteurs de l’animal en englobant le nerf optique est rompu : la perception visuelle est donc devenue impuissante, et dans cette impuissance consiste précisément l’inconscience. Que la matière puisse être perçue sans le concours d’un systè­me nerveux, sans organes des sens, cela n’est pas théoriquement inconceva­ble ; mais c’est pratiquement impossible, parce qu’une perception de ce genre ne servirait à rien. Elle conviendrait à un fantôme, non à un être vivant, c’est-à-dire agissant. On se représente le corps vivant comme un empire dans un empire, le système nerveux comme un être à part, dont la fonction serait d’abord d’élaborer des perceptions, ensuite de créer des mouvements. La vérité est que mon système nerveux, interposé