Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/68

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moins confusément localisés, qui sont les états affectifs. Notre entende­ment, cédant à son illusion habituelle, pose ce dilemme qu’une chose est étendue ou ne l’est pas ; et comme l’état affectif participe vaguement de l’éten­due, est imparfaitement localisé, il en conclut que cet état est absolument inextensif, Mais alors les degrés successifs de l’extension, et l’étendue elle-même, vont s’expliquer par je ne sais quelle propriété acquise des états inex­tensifs ; l’histoire de la perception va devenir celle d’états internes et inexten­sifs s’étendant et se projetant au dehors. Veut-on mettre cette argumentation sous une autre forme ? Il n’y a guère de perception qui ne puisse, par un accroissement de l’action de son objet sur notre corps, devenir affection et plus particulièrement douleur. Ainsi, on passe insensiblement du contact de l’épingle à la piqûre. Inversement, la douleur décroissante coïncide peu à peu avec la perception de sa cause et s’extériorise, pour ainsi dire, en représenta­tion. Il semble donc bien qu’il y ait une différence de degré, et non pas de nature, entre l’affection et la perception. Or la première est intimement liée à mon existence personnelle : que serait, en effet, une douleur détachée du sujet qui la ressent ? Il faut donc bien, semble-t-il, qu’il en soit ainsi de la seconde, et que la perception extérieure se constitue par la projection, dans l’espace, de l’affection devenue inoffensive. Réalistes et idéalistes s’accordent à raisonner de cette manière. Ceux-ci ne voient rien autre chose, dans l’univers matériel, qu’une synthèse d’états subjectifs et inextensifs ; ceux-là ajoutent qu’il y a, derrière cette synthèse, une réalité indépendante qui y correspond ; mais les uns et les autres concluent, du passage graduel de l’affection à la représenta­tion, que la repré