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LES PRINCIPES DE LA CONNAISSANCE HUMAINE

aux yeux du sensuel et du paresseux, qui ne veut pas se mettre en frais de pensée, rien pourtant n’est plus clairement lisible à un esprit attentif et sans préventions que l’intime présence d’un Esprit tout-sage qui façonne, règle et soutient le système entier des choses. — En second lieu, il est clair, d’après ce que nous avons fait observer ailleurs, qu’il est tellement utile, pour que nous puissions nous guider dans les affaires de la vie et pénétrer dans les secrets de la nature, que l’opération des choses soit conforme à des lois générales et fixes, que, sans cela, toute l’étendue et la portée de la pensée, toute la sagacité et les plans de l’homme seraient entièrement vains et de nul usage. Il serait même impossible que de telles facultés ou puissances existassent dans l’esprit. (Voyez § 31.) Cette unique considération fait mieux que balancer les inconvénients particuliers que peut présenter le système des lois.

152. Mais nous devons encore considérer que les imperfections mêmes et les défauts de la nature ont leur utilité, en ce qu’ils produisent une espèce de variété agréable, et augmentent la beauté du reste de la création, de même que les ombres, en peinture, servent à faire ressortir les parties brillantes et lumineuses. Nous ferions bien aussi d’examiner si, quand nous taxons d’imprudence l’Auteur de la nature, pour les pertes de semences ou d’embryons et pour la destruction accidentelle de plantes et d’animaux avant qu’ils aient atteint le terme de leur croissance, nous n’obéirions pas à un préjugé qui tiendrait chez nous à ce que l’impuissance et les habitudes d’économie des mortels nous sont choses familières. Que l’homme ménage soigneusement ce qu’il ne peut se procurer qu’avec beaucoup d’industrie et de travail, c’est sagesse, on doit en juger ainsi. Mais il ne faut pas nous imaginer que la production de l’inexplicablement subtile machine d’un animal ou d’un végétal donne plus d’embarras ou de peine au grand Créateur que celle d’un simple caillou. Il est, en effet, très évident, qu’un tout-puissant Esprit peut produire sans effort toutes choses par un pur fiat ou acte de sa volonté. Ainsi la profusion splendide des choses naturelles ne doit pas s’interpréter comme faiblesse ou prodigalité chez l’agent qui les produit, mais passer plutôt pour une preuve de l’étendue de sa puissance.