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LES PRINCIPES DE LA CONNAISSANCE HUMAINE

17. Ce serait une besogne interminable aussi bien qu’inutile de suivre les scolastiques, ces grands maîtres de l’abstraction, dans les nombreux et inextricables labyrinthes de dispute et d’erreur où ils paraissent avoir été engagés par leur doctrine des notions et natures abstraites. Combien de querelles et de controverses, quelle savante poussière soulevée autour de ces sujets, et quel grand avantage est résulté de tout cela pour l’espèce humaine, ce sont choses aujourd’hui trop connues pour qu’il soit besoin d’insister. Passe encore si les mauvais effets de cette doctrine ne se fussent pas étendus plus loin que les gens qui en faisaient ouvertement profession. Quand on songe à tant de travail, d’activité et de talent qui ont été consacrés pendant de longs siècles à la culture et au progrès des sciences, et qu’on voit néanmoins la plus grande partie des sciences, la plus grande de beaucoup, restée dans l’incertitude et l’obscurité, livrée à des disputes qui semblent ne devoir jamais finir ; quand cette partie même de la connaissance qu’on regarde comme fondée sur les démonstrations les plus claires et les plus convaincantes renferme des paradoxes parfaitement inconciliables avec les entendements des hommes, et quand finalement une très petite portion de tout cet ensemble procure à l’humanité de réels avantages, ou quelque chose de plus que de l’amusement et des distractions innocentes ; quand, dis-je, on pense sérieusement à tout cela, on doit se sentir porté au découragement et tenté de prendre en mépris toutes les études. Mais cet état de choses peut changer à la suite d’un examen et d’une reconnaissance des faux principes qui sont arrivés à dominer dans le monde. Entre tous il n’en est aucun dont l’empire me paraisse s’étendre plus loin et plus profondément sur les pensées des hommes de spéculation que le principe des idées générales abstraites.

18. Je passe à examiner la source de cette notion régnante ; c’est, je pense, le langage. Et assurément il faut qu’elle tienne à quelque chose dont l’étendue ne le cède point à celle de la raison elle-même, pour nous expliquer une opinion si universellement répandue. Entre autres motifs d’admettre cette source, nous avons le franc aveu des plus habiles défenseurs des idées abstraites, car ils reconnaissent que leur destination est de nommer. Il résulte clairement de là que, s’il n’existait