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BERKELEY

des membres, des mouvements. Et, en troisième lieu, ses opérations sont uniformes et régulières. Quand le cours de la nature est interrompu par un miracle, les hommes sont prêts à reconnaître la présence d’un agent supérieur. Mais quand nous voyons les choses aller leur cours ordinaire, elles n’éveillent en nous aucune réflexion. Leur harmonie, leur enchaînement sont bien des arguments à l’appui de la très grande sagesse, puissance et bonté de leur créateur, mais la constance d’un spectacle qui nous est familier fait que nous ne pensons point à y voir des effets immédiats de l’action d’un Libre Esprit ; d’autant plus que l’inconséquence et la variabilité dans les actes, encore qu’elles dénotent l’imperfection, sont des marques de liberté.

58. Neuvièmement[1], on objectera que la doctrine que je soutiens est inconciliable avec différentes vérités solidement établies en philosophie et en mathématiques. Par exemple, le mouvement de la terre est universellement admis par les astronomes, comme une vérité fondée sur les raisons les plus claires et les plus convaincantes. Mais, selon les principes ci-dessus, il ne peut y avoir rien de tel. Car le mouvement n’étant qu’une idée, il s’ensuit que s’il n’est pas perçu, il n’existe pas. Or, le mouvement de la terre n’est pas perçu par les sens. Je réponds que la théorie du mouvement de la terre, quand on la comprend correctement, s’accorde avec les principes que nous avons établis. En effet, la question de savoir si la terre se meut ou non ne revient, en réalité, qu’à ceci : il s’agit de savoir si les observations qui ont été faites par les astronomes nous donnent une suffisante raison de conclure que, au cas où nous serions placés dans telles et telles circonstances, où nous nous trouverions dans telle position, à telle distance à la fois du soleil et de la terre, nous percevrions celle-ci comme en mouvement dans le chœur des planètes et avec une apparence de tous points semblable à l’apparence d’une planète. Or c’est ce qu’on déduit avec raison des phénomènes observés, en se fondant sur des lois établies de la nature qu’on n’a nulle raison de mettre en doute.

  1. Il y a ici, dans le texte de Berkeley (éd. Fraser), « tenthly », c’est-à-dire dixièmement ; et le même désaccord continue aux §§ 60 et 67. Berkeley considérait sans doute le § 56 comme énonçant une neuvième objection. — Nous conservons les numéros adoptés par Renouvier.