Page:Berlioz - À travers chants, 1862.djvu/180

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cause une de ces émotions qu’il serait inutile de chercher à décrire. Il faut, pour que son exécution soit fidèle et complète, que le rôle d’Alceste soit confié à une grande actrice possédant une grande voix et une certaine agilité, non pas de vocalisation, mais d’émission des sons, qui lui permette de bien faire entendre le débit rapide sans prendre des temps pour poser chaque note. Sans cela, le prestissimo épisodique du milieu : Je sens une force nouvelle, serait à peu près perdu. Remarquons la liberté grande que Gluck a prise dans ce passage, comme dans beaucoup d’autres, de se moquer de la carrure et même de la symétrie ; ce prestissimo est composé de cinq membres de phrase de cinq mesures chacun et de quatre mesures en plus. Et cette succession irrégulière, loin de choquer, saisit de prime abord et entraîne l’auditeur.

Pour bien rendre cet air, il faut en outre que les mouvements en soient saisis avec sagacité au début, où se fait sentir une certaine majesté sombre, et bien délicatement modifiés ensuite, pour la dernière et si touchante mélodie :

Mourir pour ce qu’on aime est un trop doux effort,
------ Une vertu si naturelle !


dont chaque mesure tire larmes et sang.

De plus, il faut absolument que l’orchestre soit inspiré comme la cantatrice, que les forte soient terribles, les piano tantôt menaçants et tantôt attendris, et que les instruments de cuivre surtout donnent à leurs deux premières notes une sonorité tonnante, en les attaquant vigoureusement et en les soutenant sans fléchir pendant toute la durée de la mesure. Alors on arrive à un résultat dont les plus savants efforts de l’art musical ont offert bien peu d’exemples jusqu’ici.

Conçoit-on que Gluck, pour se prêter aux exigences de la versification française ou à l’impuissance de son traducteur, ait consenti à défigurer ou, pour parler plus juste, à détruire la merveilleuse ordonnance du début de cet air incomparable,