Page:Berlioz - À travers chants, 1862.djvu/254

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de cette pièce ingénieuse. On dit même que M. Meyerbeer l’aida tant soit peu dans son travail, mais qu’il n’avait alors, lui, que seize ans et demi. De sorte que l’auteur des Huguenots est aujourd’hui dans l’impossibilité la plus absolue de reconnaître les morceaux dont il a orné l’œuvre de son ami, et que si quelque vieux bibliophile venait lui dire avec assurance : « Cet air est de vous, » il serait capable de faire la réponse du bon la Fontaine, à qui on désignait un petit jeune homme comme son fils, et qui répliqua : « C’est bien possible ! »

Tant il y a que la partition d’Abou-Hassan contient plusieurs drôleries fort jeunes, d’assez bonne tournure, entre autres un air que Meillet a supérieurement chanté, et qu’on a redemandé avec de grandes acclamations. Meillet d’ailleurs joue son rôle tout entier avec entrain et une verve de bon goût. Il y a obtenu un succès complet de chanteur et d’acteur.

L’opéra de l’Enlèvement au sérail est beaucoup plus vieux que celui d’Abou-Hassan, et Mozart, lorsqu’il l’écrivit, n’avait peut-être pas encore dix-sept ans. Les personnes désireuses de savoir au juste ce qu’il en est peuvent consulter le livre de M. Oulibicheff, un Russe qui savait à quelle heure précise l’auteur de Don Giovanni écrivit la dernière note de telle ou telle de ses sonates pour le clavecin, qui tombait pâmé à la renverse en entendant deux clarinettes donner l’accord de tierce majeure (ut mi) dans l’orchestre du premier venu des opéras de Mozart, et qui se levait indigné si ces deux mêmes clarinettes faisaient entendre les deux mêmes notes dans le Fidelio de Beethoven. M. Oulibicheff a conservé toute sa vie un doute cruel, il n’était pas bien sûr que Mozart fût le bon Dieu…

L’Enlèvement est précédé d’une petite ouverture en ut majeur, d’une impayable naïveté et qui a produit peu de sensation ; c’est à peine si le parterre y a pris garde. Cela fait, ne vous en déplaise, l’éloge du parterre ; car en vérité, si tant est qu’on puisse dire à peu près la vérité là-dessus, le père Léopold Mozart, au lieu de pleurer d’admiration, comme à l’ordinaire,