Page:Berlioz - À travers chants, 1862.djvu/263

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Voici en quels termes en parle M. d’Ortigue :

« J’ai dit dans un précédent article que les Concerts spirituels, publiés à Avignon en 1835, avaient été dépassés par une production plus étrange encore. Ils ont été dépassés en effet, et de beaucoup, par la Messe de Rossini, mise au jour il y a quelques années par ce spirituel, mais trop jovial Castil-Blaze, qui semble avoir voulu couronner sa carrière d’arrangeur par l’arrangement le plus inouï qu’on puisse imaginer, comme s’il avait juré de se porter un défi à lui-même. Je ne ferai qu’indiquer les principaux morceaux de cette Messe de Rossini. Le Kyrie est sur la marche de l’entrée d’Otello. Le Gloria débute par le chœur d’introduction du même ouvrage, qui fournit encore quelques autres fragments jusqu’à la seconde moitié du verset final : Cum Sancto Spiritu, in gloria Dei patris, amen, paroles que l’arrangeur a ajustées sur la strette du quintette de la Cenerentola, morceau bouffe d’une gaieté désopilante, allegro rapide à trois temps. On ne peut se représenter l’effet extravagant et grotesque de ce texte, Cum Sancto Spiritu, débité syllabiquement, une syllabe par croche, sur ce mouvement accéléré. Le reste est à l’avenant. Le Credo s’ouvre par la romance du Barbier de Séville : Ecco ridente il cielo ; puis viennent les duos guerriers de Tancrède, d’Otello, un Resurrexit sur des roulades à grands ramages, et enfin l’Et vitam venturi seculi, sur le motif d’Arsace du finale de Semiramide : Atro evento prodigio. Un mot encore. Le Dona nobis pacem est martelé en accords frappés par le chœur sur une cabalette de Tancrède, la plus jolie et la plus pimpante du monde. »

M. d’Ortigue, bien entendu, ne rend pas Rossini responsable de toutes ces extravagances, c’est sur l’arrangeur seul que tombe sa critique. Il blâme vivement l’illustre maître, au contraire, d’avoir écrit certaines parties de son Stabat, qu’il trouve avec raison, ce me semble, plus théâtral dans son ensemble que religieux. Mais ce n’est pas la faute de la musique, de l’art mondain, comme il l’appelle, et il a tort de se laisser entraîner peu à peu à rendre ce bel art responsable des erreurs des musiciens, au point de déclarer qu’il ne saurait exister de véritable musique religieuse hors de la tonalité ecclésiastique. De sorte que l’Ave verum de Mozart, cette expression sublime de l’adoration extatique, qui n’est point dans la tonalité ecclésiastique, ne devrait pas être considéré comme de la vraie musique religieuse. Et c’est là que se décèle chez M. d’Ortigue une partialité pour le plain-chant que nous avouons ne pas partager.