Page:Berlioz - À travers chants, 1862.djvu/269

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quée s’ils disaient, comme les Français, Paris tout court. Il n’est donc pas surprenant que nous disions en France Confucius pour Koang-fu-tsée, d’abord parce que la désinence latine en us est fort en honneur dans la langue philosophique ; ensuite parce que nous avons pour principe de ne pas nous gêner quand il s’agit d’un nom difficile à prononcer. De là cette précaution tant admirée d’un artiste d’origine allemande, qui, dans la crainte de voir substituer à son nom tudesque un autre nom qui ne lui plairait pas, mit sur ses cartes de visite : Schneitzoeffer, prononcez Bertrand. Donc Koang-fu-tsée, ou Confucius, ou Bertrand, fut un grand philosophe, on le sait, et il unit à sa philosophie un grand fonds de science musicale ; tellement qu’ayant composé des variations sur l’air célèbre de Li-po, il les exécuta sur une guitare ornée d’ivoire, d’un bout à l’autre du Céleste-Empire, dont il moralisa ainsi l’immense population. Et c’est depuis ce temps que le peuple chinois est si profondément moral. Mais l’œuvre de Koang-fu-tsée ne se borne pas à ces fameuses variations pour la guitare ornée d’ivoire ; non, le grand philosophe musicien écrivit en outre bon nombre de cantates morales et d’opéras moraux dont le mérite principal, au dire de tous les lettrés et de tous les musiciens de la Chine, est une simplicité et une beauté de style mélodique unies à la plus profonde expression des passions et des sentiments. On cite ce fait remarquable d’une femme chinoise qui, assistant à un opéra dans lequel Koang-fu-tsée a peint avec la plus touchante vérité les joies de l’amour maternel, se prit, dès le septième acte, à pleurer amèrement. Comme ses voisins lui demandaient la cause de ses larmes : « Hélas ! répondit-elle, j’ai donné le jour à neuf enfants, je les ai tous noyés, et je regrette maintenant de n’en avoir pas gardé au moins un ; je l’aimerais tant ! » Les législateurs chinois ont donc, et avec grande raison, selon moi, prononcé des peines sévères, non-seulement contre les directeurs de théâtre qui représenteraient mal les belles œuvres lyriques de Koang-fu-tsée, mais encore contre les chanteurs et les chan-