Page:Berlioz - À travers chants, 1862.djvu/335

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Roméo de Shakspeare, où Juliette, seule dans sa chambre, et mariée dans la journée à Roméo, attend son jeune époux.

« Ferme tes épais rideaux, ô nuit, reine des amoureux mystères ; dérobe-les aux yeux indiscrets, et que Roméo s’élance dans mes bras, inaperçu, invisible ! — Le bonheur des amants n’a besoin d’être éclairé que par la présence radieuse de l’objet aimé, et c’est la nuit qui lui convient le mieux. — Viens donc, nuit solennelle, matrone au maintien grave, au noir vêtement, guide mes pas dans la lice où je dois trouver mon vainqueur. »

Il faut signaler encore dans l’œuvre de Steibelt un air avec chœur du vieux Capulet, plein de mouvement et d’un caractère farouche :

Oui, la fureur de se venger
Est un premier besoin de l’âme !


La marche funèbre :

Grâces, vertus, soyez en deuil !


et l’air de Juliette, quand elle va boire le narcotique. C’est dramatique, c’est même fort émouvant ; mais quelle distance, grand Dieu ! de cette inspiration musicale, si bien ménagé qu’en soit l’intérêt jusqu’à la fin, au prodigieux crescendo de Shakspeare (qui fut le véritable inventeur du crescendo), morceau dont le pendant ne se trouve qu’à la quatrième scène du troisième acte d’Hamlet, commençant par ces mots : « Eh bien ! ma mère, que me voulez-vous ? » Quelle marée montante de terreurs que ce long monologue de Juliette :

What if it be a poison which the friar
Subtily hath minister’d to have me dead…

« Mais si c’est du poison que le moine m’a remis pour me donner la mort, dans la crainte du déshonneur qu’attirerait sur lui ce mariage, parce qu’il m’a déjà mariée à Roméo ? J’ai peur ! Non, cela ne saurait être ; c’est un homme d’une sainteté éprouvée : rejetons loin de moi cette odieuse pensée. — Mais si, une fois enfermée dans la tombe, je m’éveille avant que Roméo vienne me délivrer ? Oh ! ce serait horrible ! nul air pur