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Page:Berlioz - À travers chants, 1862.djvu/337

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L’autre partition française portant le titre de Roméo et Juliette, et presque inconnue aujourd’hui, est, malheureusement pour notre amour-propre national, de Dalayrac. L’auteur de l’abominable livret eut l’esprit de ne pas se nommer. Cela est misérable, plat, bête, en tout et partout. On dirait d’une œuvre composée par deux imbéciles qui ne connaissent ni la passion, ni le sentiment, ni le bon sens, ni le français, ni la musique.

Dans ces deux opéras, au moins le rôle de Roméo est écrit pour un homme. Les trois maestri italiens ont, au contraire, voulu que l’amant de Juliette fût représenté par une femme. C’est un reste des anciennes mœurs musicales de l’école italienne. C’est le résultat de la préoccupation constante d’un sensualisme enfantin. On voulait des femmes pour chanter des rôles d’amants, parce que dans les duos deux voix féminines produisent plus aisément les séries de tierces, chères à l’oreille italienne. Dans les anciens opéras de cette école, on ne trouve presque pas de rôles de basses ; les voix graves étaient en horreur à ce public de sybarites, friands des douceurs sonores comme les enfants le sont des sucreries.

L’opéra de Zingarelli a joui d’une vogue assez longue en France et en Italie. C’est une musique tranquille et gracieuse ; on n’y voit pas plus de traces des caractères shakspeariens, pas plus de prétentions à exprimer les passions des personnages que si le compositeur n’eût pas compris la langue à laquelle il adaptait ses mélodies. On cite toujours un air de Roméo : « Ombra adorata, » air célèbre qui suffit pendant longtemps pour attirer le public au Théâtre-Italien de Paris et pour lui faire supporter le froid ennui de tout le reste de l’œuvre. Ce morceau est gracieux, élégant et fort bien conduit dans son ensemble ; la flûte y fait entendre de jolis petits traits qui dialoguent heureusement avec des fragments de la phrase vocale. Tout est presque souriant dans cet air. Roméo qui va mourir y exprime sa joie de retrouver bientôt Juliette, et de jouir des pures délices de l’amour au séjour bienheureux :