Page:Berlioz - À travers chants, 1862.djvu/346

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’une que celui de l’autre ? — Tant s’en faut ; car l’influence d’un talent comme le vôtre aura plutôt perverti les plus nobles élans du cœur, que le cœur n’aura donné de la noblesse aux aspirations du talent. Ceci passait autrefois pour un paradoxe ; mais c’est aujourd’hui un fait dont la preuve est acquise. Il fut un temps où je vous admirais. — En effet, monseigneur, vous me l’avez fait croire. — Vous avez eu tort de me croire. Mon admiration n’avait rien de réel. — Je n’en ai été que plus trompée. — Allez vous enfermer dans un cloître. Quelle est votre ambition ? Un nom célèbre, beaucoup d’argent, les applaudissements des sots, un époux titré, le nom de duchesse. Oui, oui, elles rêvent toutes d’épouser un prince. Pourquoi vouloir donner le jour à une race d’idiots ? — Ayez pitié de lui, ciel miséricordieux ! — Si vous vous mariez, je vous donnerai pour dot cette vérité désolante : qu’une femme artiste soit froide comme la glace, pure comme la neige, elle n’échappera point à la calomnie. Allez au couvent. Adieu ; ou s’il vous faut absolument un mari, épousez un crétin, c’est ce que vous avez de mieux à faire ; car les hommes d’esprit savent trop bien les tourments que vous leur réservez. Allez au couvent, sans tarder. Adieu. — Puissances célestes, rendez-lui la raison ! — J’ai aussi entendu parler de toutes vos coquetteries vocales, de vos plaisantes prétentions, de votre sotte vanité. Dieu vous a donné une voix, vous vous en faites une autre. On vous confie un chef-d’œuvre, vous le dénaturez, vous le mutilez, vous en changez le caractère, vous l’affublez de misérables ornements, vous y faites d’insolentes coupures, vous y introduisez des traits grotesques, des arpéges risibles, des trilles facétieux ; vous insultez le maître, les gens de goût, et l’art, et le bon sens. Allez, qu’on ne m’en parle plus. Au couvent ! au couvent ! » (Il sort.)

La jeune Ophélie n’a pas tout à fait tort, Hamlet a bien un peu perdu la tête. Mais on ne s’en apercevra pas dans notre monde musical, où tout le monde à cette heure est complétement fou. D’ailleurs, il a des instants lucides, ce pauvre prince